Un acte manqué en guise de cadeau
Ligne 8 Faidherbe Chaligny 11h58, mon portable émet le son d'une notification de mon agenda.
Rappel: 12h-13h RDV avec B.L.
Meeeeeeeeeeeeeeerde ! J'étais sure que j'avais rendez-vous à 14h et je ne suis pas du tout en train de m'y rendre. J'ai rendez-vous avec Yann à midi à Gare du Nord (je sais, je suis en retard ), un homme que j'ai recruté sur le site de co-parenting de l'APGL. Mes doigts pianotent fiévreusement un message d'excuse, c'est la première fois que je pose un lapin à mon psy, c'est dire !
B.L. me rappelle :
"Alors vous, vous faites fort ! Vous savez que c'est un créneau très prisé midi pour ma clientèle ? " me lâche-t-il dans un éclat de rire.
" Oui, pardon... Si vous saviez où je vais en plus...je vous raconterai !"
" Il s'agit donc d'un acte manqué ? "
"Je ne l'avais pas vu sous cet angle, mais on peut dire ça. Il faut absolument qu'on se voie avant que je parte, sinon ça va être terrible pour moi ! "
Et je le pense à ce moment précis. La journée a commencé à l'envers de toute façon et je m'attends à une rencontre catastrophe. Mais j'y vais comme un petit soldat, c'est la moindre des choses, même si j'ai la tête en vrac, que je ne ressemble à rien et que je déteste être en retard. En plus je me trompe de café et ne m'étonne pas que Yann soit lui aussi, en retard. Mais là il m'appelle et je réalise ma bourde. Sa voix est joviale et pas du tout en colère heureusement, mais j'arrive échevelée et les yeux affolés au Terminus Nord où je l'ai convié à me retrouver il y a deux jours.
Que dire ? Beaucoup en fait...
J'ai bien conscience d'être du type enthousiaste mais je dois avouer que ce type m'a littéralement séduite, au sens noble du terme. Ce n'est pas qu'il soit beau mais il y a quelque chose qui émane de lui qui m'a fait sentir immédiatement détendue et en confiance. Notre déjeuner qui devait durer une heure et demi s'est donc transformé en une conversation de trois heures où je n'ai pas une seule fois regardé ma montre, puisque de toute façon, en ratant mon rendez-vous chez B.L., je m'étais débarrassée de ma seule véritable obligation de la journée. Un bel acte manqué en sorte.
Dés que je m'assois à sa table, nous parlons comme si nous reprenions le cours d'une discussion déjà entamée, partant dans tous les sens, ceux de nos convictions humaines, différentes mais complémentaires, de nos expériences amoureuses, familiales.
Nous plongeons très rapidement dans l'intime, et ce n'est ni bizarre, ni même étonnant sur le moment. C'est juste fluide, naturel, apaisé. Il me raconte sa longue histoire avec Fabien, comment il a ramé pour le conquérir. Il me parle de leurs différences, de leur complémentarité.
Et puis il m'écoute aussi. J'essaie de lui rapporter mes différentes rencontres (déboires ?) avec le plus d'objectivité et de recul possible. J'aime ses réactions à la fois nuancées et dénuées de parti pris. Il s'émeut cependant quand je lui fais part de la reflexion de François sur mon age et le manque de temps que j'ai devant moi:
"Ça tu vois Jeanne, je trouve ça mesquin au dernier degré et tu en as dis assez en une seule phrase sur les raisons qui t'ont fait fuir. Ce type n'a fait aucun cas de toi, ça manquait cruellement d'amour tout ça..."
"C'est drôle que tu emploies le mot amour, j'ai tendance à l'utiliser aussi ici. Même si c'est plus politiquement correct de parler d'affection dans ce cas"
"J'utilise amour au sens large, une telle aventure en nécessite beaucoup. Toutes les femmes que j'ai rencontrées jusqu'ici pour ce projet me proposaient un truc "clé en main" où je n'avais presque que le droit de citer pour ma semence ou du baby-sitting ! Je veux vraiment connaître la mère de l'enfant que je vais faire... Et pour cela je pense que même se voir toutes les semaines ne suffirait pas. Il faut se regarder vivre dans le quotidien. Partir en vacances quelques jours par exemple..."
C'est surprenant, c'est quelque chose que Bassam avait évoqué à l'époque et qui m'avait glacée. Avec Yann ça me parait évident alors que je ne le connais que depuis une heure.
S'en suit une conversation sans fin sur la croyance et les religions.
Ce qui me saute aux yeux chez Yann, et aux oreilles surtout, c'est à quel point il est passionné et passionnant. Féru d'histoire, de religions, de musique classique, en somme les domaines mêmes où j'ai des lacunes, alors forcément, c'est l'extase ! Mais ce qui me conquiert ce jour-là, c'est sa manière d'envisager Dieu. C'est quelque chose dont je ne parle pas souvent, et pour cause, je crois en Dieu et je pense que ça donne immédiatement aux autres une image pas raccord avec celle que je renvoie en premier lieu. Bref, ça dérange.
Je ne parle pas du Dieu qui punit les mauvaises actions, pas celui non plus qui par la voix des hommes érige des lois insensées qui justifient des crimes abominables, des règles barbares ou toutes formes de ségrégation. Ce que j'ai principalement retenu de mes cours de catéchisme c'est que Dieu est Amour, donc tolérance, pardon et respect. J'abhorre les dogmes de la religion, et même si par ma culture j'ai l'impression que Dieu m'entend mieux dans un lieu sacré, je le prie aussi dans le métro et parfois même dans mon bain. Yann a cette même façon particulière de croire, à la différence qu'il s'appuie sur sa connaissance des textes et moi sur du ressenti pur.
Finalement nous parlons peu du projet dans les détails. Bien sûr je lui évoque un souhait de souplesse dans la garde, ce à quoi il acquiesce mais nous parlons surtout de nous, de nos espoirs, de nos modes de vie, plus curieux l'un de l'autre que de nous en tant que parents, il sera bien temps...
Quand nous nous quittons devant la gare du Nord, nous sommes émus. Nous ne nous reverrons pas avant mon retour de Thaïlande puisque Yann part deux semaines à l'occasion des fêtes de fin d'année et que je serai partie quand il reviendra. Il me dit cependant :
" Si tu trouves le moyen de venir nous rejoindre pour fêter le nouvel an avec nous, sache que tu es la bienvenue Jeanne, sincèrement. Je ne sais pas si nous serons parents ensemble, mais j'ai le sentiment en tout cas que nous allons devenir des amis..."
"Oui, c'était un très chouette moment, je suis très heureuse..."
Il ne manque plus que les violons derrière, je sais, ça peut paraître un peu con, mais là tout de suite, rien ne pourrait troubler ma joie.
La prochaine rencontre est prévue à mon retour ainsi que les présentations avec Fabien.
Dans la soirée je reçois un mail de Yann :
Bonsoir Jeanne,
Je te remercie pour ce beau moment passé ensemble. Je ne manquerai pas de te donner des nouvelles pendant les fêtes.