Sauvetage amer

Publié le par Maxine

 

1351894 3 3b5b une-image-du-film-americain-de-cam-archer
   

J'ai perdu patience avec Gabriel... C'est arrivé comme ça, sans crier gare.

Bien sûr je sentais l'irritation me gagner depuis quelques mois, je n'en pouvais plus d'entendre ses plaintes et ses tourments sans jamais qu'il ne m'accorde une écoute généreuse. Mais j'avais encore l'espoir qu'il réalise enfin qu'il lui fallait prendre d'autres chemins et que je devais lui laisser un peu de temps... encore.

 

Pendant son mois de congés, je n'ai pas cherché à le voir. On s'est échangé quelques textos mais comme je vivais très mal le silence de François et Fred, je n'avais aucune envie de voir Gabriel et de me retenir de parler de mes problèmes. Or comme je savais qu'il ne serait pas à la hauteur, j'ai préféré garder mes distances et c'est à Carl que j'ai confié ma peine.

 

Nous avions projeté de déjeuner ensemble puisque nous travaillions ensemble le jour de son retour de vacances, ce que nous avons fait.

 

"Bon alors qu'est que tu racontes ? Tu vas bien ? " m'a-t-il lancé en s'asseyant en face de moi et d'une assiette de pâtes.

Personnellement, quand je pose ce genre de question, surtout à quelqu'un que j'aime, j'attends en retour qu'il me parle de lui, c'est une invitation sincère à l'écouter. C'est donc dans cet état d'esprit que je lui ai répondu que je me remettais doucement de ma déception.

"Tu sais Jeanne, je ne sais rien de ton aventure, alors c'est un peu flou ce que tu me dis..."

Alors  je lui ai raconté comment j'avais rencontré les garçons, comment je voyais mon projet, les valeurs sur lesquelles je comptais baser l'éducation de mon enfant en insistant sur le fait que je désirais que l'alternance de la garde se fasse en fonction de son évolution et de sa sensibilité. Et là il m'a dit :

"Oui dans l'idéal, parce que moi je sais très bien qu'un jour où l'autre vous allez vous déchirer pour obtenir la garde d'un enfant qui n'aura même pas demandé à naître..."

"Mais non Gab, c'est un projet qui est basé sur un partenariat dénué de passion amoureuse justement, fondé sur une amitié, une communauté de valeurs..."

"Tu es bien naïve de penser que ça va marcher comme ça..."

"Putain Gab ! Tu ne peux pas t'empêcher hein ! Faut toujours que tu éclabousses tout de ta noirceur ! Tu fais chier, vraiment !  Tu m'avais dit que tu étais capable d'écouter en fermant ta gueule, mais c'est faux. "

" Mais tu connais mon avis alors pourquoi tu me demandes ?"

" Je ne te demande rien, je croyais justement que c'était toi qui me demandais des nouvelles de ma vie..."

" Ben oui parce que je sais que tu as besoin de m'en parler..."

"Mais non Gab, si c'est pour t'entendre transformer tous mes espoirs en boue, ce n'est vraiment pas la peine ! En même temps il me semble assez naturel de se confier à son meilleur ami, après je réalise bien que tu es incapable de faire preuve de délicatesse... Je sais que tu es réfractaire au désir-même de mettre un enfant au monde, mais tu prétends que tu sais écouter... mais tu ne sais pas, tu ne sais plus ! Tu te rends compte au moins que tout ce qui sort de ta bouche est négatif et ce depuis des mois... tu n'es même pas capable de reconnaître que tu fais une dépression ? "

Là, chose assez récurrente chez lui, les larmes lui sont montées aux yeux, et pour la première fois il m'a dit :

"Mais si, je sais que je fais une dépression..."

" A la bonne heure ! Et alors tu comptes faire quoi ? Retourner voir un psy, toucher enfin là où ça fait mal sans renoncer au bout de deux mois ? "

" Non ça sert à rien ! Pour qu'il me parle de mes traumatismes d'enfant encore et encore, c'est bon j'ai déjà donné..."

"Mais Gab, c'est toi qui te raccroches sans cesse à ces souvenirs, qui t'en sers comme des excuses pour être malheureux... Moi avec mon psy, on parle du présent, pas de mes traumas d'enfant ou alors sporadiquement. Et puis tant que tu fumeras de l'herbe comme un porc, tu ne vas pas t'en sortir, tu n'auras jamais envie d'aller mieux, de toute façon ça fait des mois que tu n'as plus envie de rien..."

"Si, j'ai envie de choses..."

"De quoi ?"

" De courage pour quitter cette terre ! "

Là, j'ai juste eu envie de lui en coller une, j'ai eu envie de lui dire " Ben fais-le au lieu de passer ton temps à le dire ! " ou de quitter la table, lui et ses pâtes, mais je me suis retenue. A la place, j'ai dit :

" Du courage il t'en faudrait pour arrêter de fumer... pour décider d'aller mieux, pour recommencer une thérapie avec un psy digne de ce nom ou partir quelques temps dans un pays où les gens crèvent la dalle et se battent pour du concret, ça te ferait réaliser ta chance. Pas pour mourir."

 

Sur le chemin du retour, il a ajouté :

"Oui mais avec la mort de mon grand-père, c'est pas facile d'aller mieux..."

"Tu vois, encore une fois tu ne t'agrippes qu'au négatif de ta vie. La mort de ton grand-père, c'est triste, mais c'est dans la logique des choses. En plus il est mort d'un coup, chez lui, sans souffrir pendant des mois sur un lit d'hôpital. Il a eu une belle vie... 94 ans, tu réalises un peu ? Sans déconner il faut vraiment que tu rééduques ton cerveau Gab, t'as beau cracher sur les anti-depresseurs, moi je n'en ai pris qu'un an, toi ça fait combien de temps que tu essaies de décrocher du pétard ? "

Petit aparté : je ne suis pas réfractaire à la fumette, tant qu'elle garde sa fonction de plaisir, chez Gabriel elle a rôle d'endormir sa souffrance 24/24, objectif qu'elle n'a même plus l'avantage d'assurer en ce qui le concerne.

 

Autour de lui, les gros fumeurs ont lâché du leste au profit de la pratique du yoga, d'une vie familiale prenante ou d'une activité artistique passionnante, mais Gabriel a toujours rechigné à écouter leurs conseils, juste parce que, par esprit de contradiction et soucis d'originalité il ne voulait pas prendre le même chemin qu'eux. J'ai toujours trouvé ça très con. Lui a longtemps prétendu que la poésie le sauverait, qu'il était un clown, un arraché céleste et qu'il trouverait la voie qui lui conviendrait, avec le temps... Deux ans qu'on attend qu'il revienne vers la lumière et ses clowneries n'ont de poétiques que l'intensité de leur noirceur.

 

" Casse-toi Gabriel ! Pars en Afrique depuis le temps que tu en parles, va à la rencontre des gens, arrête de t'encroûter dans ce truc de merde..."

" Mais c'est pas le moment, ma mère elle est malheureuse en ce moment, à cause de la mort de mon grand-père..."

Là je l'ai regardé bien dans les yeux et je lui ai chuchoté, parce que nous étions arrivés dans les bureaux :

"Arrête, tu m'entends arrête ! Ta mère, elle serait sûrement moins triste de te savoir heureux à l'autre du monde que d'assister à ta déchéance..."

 

Plus tard je suis rentrée chez moi fourbue, découragée. J'ai appelé Garance.

J'ai rencontré Garance grâce à Gabriel, j'ai tout de suite accroché avec elle. Elle m'emplit de joie, je pourrais passer des heures à écouter sa voix et son rire de personnage de cartoon. Elle est fine et attentionnée et je sais que lorsque nous parlons de Gabriel, c'est sans malveillance même si nous sommes d'accord toutes deux sur le fait qu'il déraille méchamment. Nous avons longuement parlé, elle m'a conseillé d'appeler Maël le frère cadet de Gab, pour réfléchir à une manière forte de le mettre au pied du mur pour se sortir de cet immobilisme morbide.

Maël, que je connais depuis à peu près autant de temps que Gabriel, m'a écoutée attentivement. Il ne s'était pas rendu compte de l'importance de la chute de Gabriel, ce dernier lui ayant joué le rôle du "mec qui va mieux et qui assure" lors de leur dernière rencontre, mais il a admis que son frère se terrait de plus en plus fréquemment. Il a ajouté qu'il tacherait de le percer à jour lors des fêtes de fin d'année qu'il devait passer ensemble. J'ai terminé notre conversation en lui disant :

" Tu sais Maël, j'adore ton frère mais là, je n'ai plus la force. S'il ne se donne pas les moyens d'aller mieux, je vais lui tourner le dos et je pense que tu devrais en faire autant... "

" Mais il va partir en sucette si on lui tourne tous le dos... "

" Non, pas si on lui dit qu'on l'aime et qu'on sera là pour l'épauler seulement s'il nous prouve qu'il veut s'en sortir."

" Tu as raison..." a-t-il répondu. Ensuite il m'a promis de me rappeler après Noël. Il le fera.


La méthode est un peu radicale, presque militaire je l'admets, mais je sais aujourd'hui que je ne suis plus capable de voir Gabriel dans ce processus ininterrompu d'auto-destruction et de complaisance crasse.

 





Publié dans Mes amis...

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
R
<br /> <br /> tu t'es deja eloignee sans qu'il reagisse..... il est peut etre tellement depressif qu'il ne peut pas reagir.....il n'arrive pas à .....maintenir le lien.....il se dira peut etre meme "tout le<br /> monde me lache je ne vaux rien...."ou truc de ce genre.....<br /> <br /> <br /> un depressif peuvent deriver comme ça, sans reagir, pendant des semaines ,des mois.....on pense que c'est ce qu'il souhaite......or bien souvent c'est pas le cas.....<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> <br /> A l'époque je me suis éloignée parce qu'il me saoulait... comme il est très fier d'être capable de dire ce qu'il a sur le coeur il ne s'est pas remis en question. Si je lui dis "je m'éloigne<br /> parce que j'en ai marre de ne rien faire pour aller mieux" je ne suis pas sur qu'il aura la même réaction. We'll see anyway. J'essaie des trucs, je ne suis jamais sure des résultats...<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> <br /> Ho comme cela doit être difficile à gérer... en effet, c'est lui seul qui prendra la décision d'aller mieux ou non.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> <br /> Je le crois aussi Alice... Mais c'est difficile de prendre cette décision malgré tout. Culpabilité quand tu nous guettes !<br /> <br /> <br /> <br />
F
<br /> <br /> Parfait.<br /> <br /> <br /> Tu as sûrement fait plus en une heure qu'en deux ans, et pour lui, et pour toi.<br /> <br /> <br /> Je réponds le plus vite possible à ton mail.<br /> <br /> <br /> Kiss.<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> <br /> Merci Flavia, ça me rassure ton avis au vu de ce que je sais de toi....<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> <br /> Oui je pense. Peut être que te voir t'éloigner le fera réagir aussi ?<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> <br /> Je le souhaite... mais je me suis déjà éloignée ces derniers mois, ça n'a pas donné grand chose.<br /> <br /> <br /> <br />
E
<br /> <br /> Un ami comme ça c'est difficile à gérer. Je pense qu'il faut arriver à différencier la vraie souffrance et l'envie réelle que ça se termine, avec un autre comportement qui est juste une apathie<br /> et l'envie de ne pas s'en sortir, car on n'a plus l'énergie, l'envie, ou qu'on se connaît comme ça depuis tellement longtemps qu'on a peur de changer pour aller mieux mais vers l'inconnu. Courage<br /> à vous deux.<br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> <br /> Si je ne l'avais pas connu autrement avant je ne me battrai pas de la sorte pour qu'il se bouge... Je pense que sa stagnation est due à une grosse part d'orgueil et d'auto-complaisance.<br /> Maintenant je n'ai pas la science infuse, je saurai changer de cap si nécessaire.<br /> <br /> <br /> <br />