Des rêves d'enfant dans un corps d'adulte
Quand on est enfant, on se dit que la vie des adultes ça doit être bien plus tranquille... un peu chiant même des fois. Mais tout de même on les envie un peu...
Pour commencer les adultes sont libres, ils n'ont de compte à rendre à personne sur leurs faits et gestes... En plus ils ont une petite carte en plastique qui leur permet d'avoir tout l'argent qu'ils souhaitent en la glissant dans la fente d'une machine incrustée dans le mur.
Ils ont des conversations autrement plus intéressantes que les nôtres qui se résument à critiquer la copine de classe qui triche pendant les contrôles et le film qu'on a eu la permission de regarder le dimanche soir, "exceptionnellement" parce que c'était un de Funès. Eux ils parlent politique, art et voyages...
Et puis les adultes, ils ont la belle vie, une fois leur journée de boulot terminée, ils n'ont pas de devoirs à faire à la maison... Ils ont des jeux intelligents comme le bridge ou le Scrabble. Ils ne passent pas leur temps à se crêper le chignon, ils sont raisonnables... du moins c'est ce que nous pensons du haut de nos 120cm.
Et puis un jour on grandit, on vieillit même et on se rend compte que le petit bonhomme de 8 ans qui nous appelle "madame" nous voit certainement aussi comme un adulte chiant, cultivé et raisonnable.
Nous réalisons que ce qui nous brisait le coeur à 10 ans, nous affecte de la même façon à 25 ou même 40 ans. Alors forcément comme nous sommes moins spontanés, même si nous avons toujours envie de nous rouler par terre quand notre copine nous "cause plus", ou que notre fiancé en "aime une autre", on se retient. Du coup, on chope des ulcères à la place, dans le meilleur des cas...
On se rend compte aussi que ce fameux robot incrusté dans le mur qui distribue des billets n'est pas un puits sans fond, et que parfois il avale même la jolie carte dorée qu'on paye une fortune à l'année, et ce sans crier gare.
On a des conversations sérieuses certes mais parfois on parle aussi du film de De Funès avec notre interlocuteur, parce qu'on n'a rien d'autre à partager avec lui. Et on parle aussi de la collègue "qui couche" pour y arriver, ce qui revient à peu près au même que la copine de classe qui trichait.
On prend conscience que les mecs qui gouvernent notre pays qu'on avait pris pour des sages, ne sont pas plus disciplinés qu'une bande d'adolescents dans une salle de classe. Ils se curent le nez à l'assemblée, s'endorment pendant l'exposé de leurs petits camarades et huent les idées qui ne sont pas raccord avec les leurs...
On ne ramène pas toujours des devoirs à la maison, mais pour les chanceux qui rentrent sans statistiques à analyser ou sans copies à corriger jusqu'à point d'heure, on rapporte du stress, des frustrations, du ressentiment et à choisir, on regrette presque les tables de multiplication à apprendre par coeur.
Quand on est petit on a le privilège de dire: "Quand je serai grand..." et d'exprimer la totalité de nos rêves les plus fous, quand on devient adulte les rêves sont soudain comprimés et rétrécis par un truc qui s'appelle la réalité ou la lucidité. On pourrait se sentir libres mais on devient surtout très doué pour s'entraver tout seul, sous couvert de morale, de bienséance ou tout simplement parce que plus on vieillit, plus on a peur.
Alors quand on me dit à moi Jeanne d'être raisonnable et de grandir un peu, désolée si je traîne des pieds, si j'attends encore beaucoup de la vie et des autres, quitte à me prendre encore quelques baffes... Je sens bien que mon immaturité agace, que mes élans d'enthousiasme font ricaner parfois, mais je préfère garder un peu de cet idéalisme enfantin que de me laisser ronger par l'amertume ou le renoncement.
Et si le chagrin prend possession de moi quelquefois, c'est que j'ai rêvé trop fort ou trop grand...