Le jour ou j'ai ramasse un ange a la petite cuillere
J'attendais les filles vers midi, je suis donc allee a mon nouvel hotel vers 9h pour profiter de ma jolie terrasse baignee de soleil avec vue sur le jardin. Ma chambre avec son grand lit surmonte d'une moustiquaire avait des allures princieres, j'etais ravie.
La patronne lorgnait ma bague et me demanda combien je la lui vendrais...
Comme il ne s'agissait pas d'un cadeau, je lui expliquai qu'elle etait toute neuve et que je ne la lacherais pas a moins de 50 euros. Elle me proposa de l'echanger contre des bijoux d'ici ce qui me fit tiquer immediatement. Cette femme sentait la cupidite a plein nez, et je reperais l'arnaque a des kilometres. Elle avait ete reine de beaute par le passe et les photos qui siegeaient dans le hall d'entree en temoignaient. A present mere et grand mere elle semblait etre devenue une intraitable femme d'affaires et les bijoux qu'elle portait etaient le symbole de sa reussite et de son souhait de le montrer a tous. Je lui proposais deux nuits dans son hotel (40 euros) contre l'objet, elle pretendit qu'elle allait y reflechir mais n'en parla plus jamais.
Angelica debarqua vers dix heures, elle avait du prendre un vol different du mien.
"Gabrielle n'est pas avec toi ?"
" Non, elle a voulu prendre une chambre dans un autre hotel. Elle n'a meme pas voulu visiter celui la."
Sa reponse ne m'etonna pas plus que ca, en revanche son emancipation un peu plus.
"Et toi tu as reserve pour toi seule ici ? Vous vous etes disputees ?"
"Oui...."
"Mais pour quelle raison ? "
"Oh des conneries a propos des suisses allemands, nous n'etions pas d'accord. Elle m'a enervee pendant le diner a dire que des saloperies sur la suisse alémanique et au bout d'un moment j'ai quitte la table. Quand elle est revenue dans la chambre elle m'a dit que c'etait mieux si on continuait le voyage séparément...''
La elle s'interrompit et je vis ses lunettes se couvrir du buee de l'interieur, elle pleurait bel et bien...
"Oh non Geli, pleure pas, je suis sure que ca va s'arranger. Tout prend des proportions demesurees en voyage tu sais, c'est rien ma douce, ca va s'arranger. "
"Je suis tellement stupide... J'aurais du le savoir, je la connais depuis trente ans, je le connais son satane egoisme. Je m'en veux, si tu savais !"
"Chut... chut" lui soufflai-je en la prenant dans mes bras pour la consoler. Sa peine résonnait en moi comme l'echo de mes propres chagrins d'amitie, et en meme temps que je la cajolais, je me faisais du bien aussi. Je me souvenais d'une phrase de Gabrielle lorque nous prenions l'apero avec vue sur la riviere : " Je vais t'enseigner l'egoisme allemand, tu te sentiras tout de suite mieux..." Je n'etais pas sure finalement que j'avais vraiment envie de l'apprendre. Sa decision de laisser Angelica livree a elle meme, alors meme que cette derniere n'avait jamais voyage aussi loin et encore moins seule, ressemblait fort a la mise en place d'un pernicieux rapport de force.
Je decidais cependant de taire ma reflexion et pris l'option de feinter l'enthousiasme pour changer les idees de Geli. Elle n'y vit que du feu, je la forceais meme a boire un cocktail corse le soir pour la detendre. Ce fut une journee plutot chouette ou nous traversames des petits chemins en velo a peine praticables tant ils etaient cahoteux. La campagne etait magnifique, verte et irriguee, les betes ne ressemblaient en rien a nos bovins et autres gallinacés francais, nous avons goute a des snacks locaux dans la rue, crackers de riz, brioches de porc, gateaux au cacahuetes et pate de haricots rouges, veritable experience gustative et nous avons fini grises dans le plus chic restaurant de la ville ou le serveur nous fit rire aux eclats.
Le lendemain, lors de notre visite du lac en bateau, nous croisames Gabrielle sur les abords d'un temple. Elle arborait un sourire force et ne s'adressa qu'a moi en anglais sans accorder le moindre regard a sa vieille amie. J'etais choquee, revoltee, abasourdie.
En regagnant le bateu, je m'assurais que mon amie ne pleurait pas et lui chuchotai:
" Tu sais ce qu'on dit en France ? Avec des amies comme ca, on n'a pas besoin d'ennemis"
Geli sourit tristement. J'etais un peu peinee de la laisser seule puisque je repartais le lendemain pour Rangoon puis pour Bangkok. Il lui restait trois jours a Inle et elle n'avait la facilite dont j'etais pourvue pour se lier avec les gens. Mais cette derniere journee passee ensemble fut une des plus belles, la gentillesse des habitants, la beaute des villages de maisonnettes sur pilotis, les jardins flottants, les pecheurs et leur facontoute particuliere de diriger leur pirogue et d'attraper le poisson, il etait impossible de ne pas tomber sous le charme d'un tel endroit.
Quand je quittai Geli le lendemain matin, elle etait en pleine conversation avec une autre voyageuse solitaire allemande fort sympatique et je fus rassuree.