Le jour ou j'ai cru que j'avais rencontre deux anges
L'aeroport domestique de Rangoon est une experience improbable... On enregistre, on s'asseoit la ou on peut et on attend qu'un type passe avec une petite pancarte avec le numero du vol concerné pour embarquer. Dans la salle flottent des odeurs de soupe de nouilles et de cafe creme, le nombre de voyageurs au metre carre donne une impression sonore d'une densite etonnante et des allures de foire d'empoigne. Dans ce decor ahurissant, on ouvre des yeux comme des soucoupe pour ne pas rater la fameuse pancarte et ne pas manquer son vol ( ma grande specialite).
J'avais repere au moment de l'enregistrement deux silhouettes freles devant moi, deux filles, deux femmes devrais je dire. Quand la premiere pancarte passa, je les vis s'affoler, montrer leurs tickets a l'agent de controle qui secoua la tete negativement. Je vins les voir et commencai a parler avec elles en plaisantant sur l'aspect completement inedit et incongru de l'organisation de cet aeroport. Et j'ajoutais joueuse : "You're not alone, I'm with you now !" alors que je pensais evidemment que c'etait moi qui n'etais plus seule a ce moment precis. Elles s'appellaient Gabrielle (!) et Angelica, deux sortes d'anges en somme et vivaient l'une a Munich et l'autre dans le region de Bonn en Allemagne. L'une, Gabrielle, brune et bouclee, le corps taille comme celui une coureuse de fond, l'autre, Angelica, presque blonde les yeux clairs et l'air doux.
J'eus d'abord plus d'affinites avec la premiere parce qu'elle parlait mieux anglais pour commencer et parce que je voyais sans doute en elle mon propre reflet d'ici quelques annees (elles avaient toutes deux cinquante ans). Mais je ne tardais pas a voir aussi tout ce que je ne voulais absolument pas devenir.
Le deuxieme jour de visite a Bagan, nous louames des byciclettes pour nous deplacer parmi les temples et je fus contente de m'en remettre a elles qui semblaient avoir un sens de l'orientation plus aiguise que le mien (je confesse etre une parfaite handicapee en la matiere).
Tres vite Gabi s'avera etre la meneuse ne laissant place a aucune fantaisie de notre part dans le planning qu'elle avait echaffaude. Je le relevais sans pour autant m'en froisser, apres tout je me laissais conduire, je n'allais pas en plus me plaindre... Mais plus la journee avancait plus elle se montrait directive et si elle rencontrait une quelconque resistance, se fermait comme une huitre, le visage fige dans une expression glacante. Je fis part de ma reflexion a Angelica qui m'explica que Gabi vivait seule depuis tellement longtemps qu'elle n'arrivait pas a composer avec les gens. Cependant le soir venu alors qu'un groupe de 3 quadras allemands nous rejoignit pour diner, Gabrielle se transforma : Soudain elle n'etait plus que sourire, voix douce et semblait enfin detendue. Je remarquai que des que Geli s'exprimait, Gabi ne pouvait s'empecher de la mettre en boite, alors qu'elle ne representait en rien une rivalite potentielle pour elle. Angelica etait tres mariee, avait trois grands enfants et ne jouait absolument pas sur le mode de la seduction.D'ailleurs deux des garcons semblaient plus attaches a me faire rire moi que la douce Angelica
Je sentis qu'il commencait a y avoir de l'eau dans le gaz quand le lendemain je passais la journee seule avec Geli et que Gabi partit seule a l'assaut des inombrables temples de Bagan. L'endroit etait sublime, pas un metre carre ou poser les yeux qui ne soit une recompense pour le regard, la lumiere caressait les edifices leur donnant une couleur differente a chaque heure du jour. Je me sentais bien malgre la poussiere qui nous rentrait par tous pores de la peau en raison des chemins terreux que nous traversions pour aller de temple en temple. Geli s'averait la compagne ideale pour flaner a notre rythme sur ce site ou il serait de toute facon impossible de tout visiter puisqu'il comptait environ 2000 temples au total...
A l'heure de dejeuner, j'entrai dans le jardin d'un monastere ou tronait une fontaine. Je vis deux petites tetes bouger dans l'eau trouble, pensant tout d'abord qu'il s'agissait de canards car la lumiere m'aveuglait, je realisai avec stupeur que c'etait en fait deux chiots qui bataillaient pour ne pas se noyer. J'accourrus a leur rescousse et sortis un a un les deux petits corps grelottants et gonfles d'eau. Nous etions sous le choc, c'etait moins une. Un jeune moine arriva et je tentai de lui expliquer (il ne parlait pas anglais) que les deux petites betes etaient sur le point de mourir, il se contenta de rire betement. Je m'enervai et il finit par les prendre dans des serviettes pour les secher. Je compris que ce monastere etait dedie aux chiens errants (ils devaient etre une trentaine) mais ne parvins jamais a comprendre comment les deux petites boules noires avaient atterri dans l'eau. Connaissant le precepte bouddiste qui interdit a quiconque de prendre la vie d'une creature de Dieu, je preferai deduire que les chiots etaient tombes dans la fontaine par accident. Neanmoins je quittai l'endroit avec une vraie sensation de malaise malgre les cacahuetes donnees par les moines pour recompenser notre bonne action...
L'heure de mon depart pour le lac Inle approchait, les filles restaient un jour de plus a Bagan et devaient me retrouver un jour plus tard. J'ignorais qu'en mon absence le denouement de leurs tensions allait se jouer...