Errance
Quand je suis dans le genre de phase que je traverse en ce moment, j'ai une manie : Dés que je prends place sur un canapé je chope un coussin et je le pose sur mon ventre comme pour cacher le coupable de mon mal être. Chez B.L. il y a deux coussins taupe à chaque extrémité du divan sur lequel je ne fais que m'asseoir depuis deux ans et demi (je me suis allongée pendant dix ans avec deux thérapeutes différents avant ça...). Tandis qu'il me parle, je me saisis de l'un d'eux et le presse contre mon abdomen sans même m'en rendre compte.
" Il faut que vous trompiez ce vide avec des choses moins nocives Jeanne. Mettez votre réveil tôt et sautez dans vos baskets avant même de réfléchir."
" Ça a l'air facile quand vous le dites... Vous pensez vraiment que si c'était si simple je serais en train de vous déballer mes orgies et mes gerbes ? "
" Je sais mais je ne vois pas d'autres pistes... à part celle que nous prenons ici durant vos séances évidemment. Ce que vous me dites c'est que vous avez mis au rang de "besoin" votre sexualité comme celui de vous nourrir, dormir et déféquer. Or vous devez reléguer dans un premier temps ce que vous qualifiez d'addiction au rayon des plaisirs, des envies. "
" J'ai l'impression que quand je suis dans une période de désert sexuel, mon corps est mort, qu'il ne sert plus à rien. Je sais c'est pathétique et pourtant... enfin d'un autre côté, je ne me définis pas comme nymphomane... je veux dire que je ne coucherais pas avec le premier venu même si chaque centimètre de ma peau le réclame, ce serait trop simple... Je ne fantasme pas sur des inconnus dans le métro... Mais par exemple, j'ai réalisé que Sasha me manquait... en tant qu'ami je veux dire... mais je l'appellerai pas maintenant, parce que je me sens affaiblie par cette avidité physique. Là, si je le voyais, je serais capable de tout faire pour l'attirer dans mes filets... alors qu'au fond, ça irait à l'encontre de ce que je veux vraiment. Cette relation était une forme d'antidépresseur naturel... je ne regrette pas une seconde d'y avoir mis terme. Ce qui rend le truc difficile, c'est l'incompréhension autour de moi. J'entends : "Ah bon, t'as rompu avec Sasha ? Mais pourquoi ? C'était sympa ce que tu vivais avec lui, le cul et l'affection sans prise de tête." Et c'est vrai quelque part... enfin vous voyez, il y a des moments, je me dis que c'était une connerie de me priver de la simplicité et l'immédiateté de ce plaisir, j'en serai pas là aujourd'hui... Je sais, je suis complètement contradictoire là."
" Non, l'idée de Sasha était rassurante, il apaisait vos angoisses, mais il ne vous aidait pas à les surmonter. Elles étaient toujours là."
" Alors quand vous me conseillez de faire du sport, de m'épuiser dans la course pour sentir mon corps vivant, c'est aussi une manière de calmer la sensation de vide... En quoi c'est mieux ? "
" Il n'y a pas d'interaction avec l'autre ici. Et puis vous ne risquez pas de tomber amoureuse de vos baskets ou de votre vélo elliptique (ou de croire que vous l'êtes) juste parce que c'est un moyen dérivatif à vos crises de remplissage."
" MAIS JE N'Y ARRIVE PAS ! Y a un truc qui me cloue chez moi, je dors et je mange, c'est tout ce que j'arrive à faire. En plus comme je suis plutôt fauchée en ce moment, retour de voyage oblige, je ne peux même pas sortir voir des gens. En ce moment je ne vois pratiquement que mes collègues ! "
" Vues les quantités industrielles de nourriture que vous devez ingurgiter, je pense que c'est un mauvais calcul... Sortez Jeanne, socialisez, c'est aussi un moyen et même si vous allez dépenser un peu d'argent, c'est un moindre mal. C'est ce calme qui vous angoisse, alors que ce n'est QUE du calme, un moment de transition que vous devriez mettre à profit pour vous consacrer à autre chose."
" Mais à quoi ? "
" Je ne sais pas, mais vous allez trouver... "
Elle est bien bonne celle-là ! Trouver le calme dans cette zone de turbulences... Les journées se suivent et ne se ressemblent pas pourtant. Un jour j'ai le sentiment que je reprends le contrôle de ce corps turbulent et de ce cerveau vil, mais le suivant, je retombe. J'arrive à donner le change, je fais dans l'auto-dérision. Ça marche d'ailleurs, je trompe mon beau monde à coups de sourires et de boutades mais quand je rentre chez moi c'est de nouveau la chute vertigineuse... Et plus le temps avance, plus ce corps qui me semble devenir jour après jour un parfait étranger, que je voudrais planquer sous mon lit ou dans le placard à balais, devient par la même impossible à imaginer dans une étreinte sensuelle...