Un kilo de plumes et quelques grammes de plomb
Je suis d'humeur tourmentée ces derniers temps, ce qui était hier une évidence devient trouble, inquiétant et incertain.
Et si je me plantais royalement ? Et si ce projet de maternité que je chérissais si tendrement il y a encore quelques semaines n'était là que pour combler un manque écrasant, l'absence d'une véritable histoire d'amour et ce depuis deux ans ? Des mois que je fais la fière à transformer mes épisodes sexuels en comptine à trois sous, en poèmes sans rimes et surtout sans raison, où je mets sur mon coeur un mouchoir pour ne pas qu'il pleure. Mais il transpire, il étouffe depuis le temps que je le fais taire, que je le bâillonne sous couvert de marcher droit sans faillir.
C'est vrai, j'aime ces étreintes étranges et fugaces, ces passagers de la nuit et du jour qui me laissent une empreinte aussi indolore que superficielle, mais depuis quand n'ai-je pas fait "l'amour" ? Depuis quand n'ai-je pas eu cette sensation de soif inextinguible de l'autre : apprendre à connaître chaque recoin de sa peau, recueillir le sel qu'il a laissé sur la mienne, apprivoiser ses peurs, lui laisser voir mes failles, étancher ses pleurs, lui offrir ces sourires que je ne donne à personne ou si peu.
Je réalise qu'à force de m'être blindée, je ne donne à voir que colère, cynisme et dureté. Je souffre un peu moins c'est vrai, les choses, les gens ont pris de la distance mais finalement pour en arriver où ?
A vouloir tout cloisonner, j'ai la sensation d'être faite de petites cases qui cliquettent douloureusement...
C'est vrai que les doutes que je nourris ne viennent pas que de là, mais aussi de la relation étrange entre Yann et Fabien, et finalement aussi de ce déséquilibre que j'ai souhaité en choisissant un couple, gage d'une harmonie sentimentale que je n'avais pas. Mais finalement je réalise que l'équilibre qui existe dans les couples que j'ai rencontrés, singulier parfois mais bien réel, hocquette en présence du troisième protagoniste, moi...
On ajoute à ça 12 ans d'analyse qui donne un poids dans le fait même de donner la vie quand chez d'autres, ce désir relève de l'instinctif, la difficulté dans la façon même de fabriquer ce petit être, tout cela n'aide pas à trouver le calme auquel j'aspire en ce moment.
Et puis... et puis j'ai l'impression que ma machine se détraque. Est-ce l'angoisse ou tout bonnement les causes physiologiques et somme toute héréditaires qui font que mes cycles sont irréguliers depuis deux mois ?
Je suis rarement dans la fuite, je suis plutôt frontale dans mon genre. Je vais chez le médecin quand quelque chose me parait anormal, j'affronte les gens pour enrailler un conflit, mais depuis quelques temps je me fais l'effet d'un lapin pétrifié dans les fards d'une voiture.
Je ne suis pas déprimée, pas triste non plus, juste ailleurs, dans un moment où la seule chose qui me fait du bien est l'exercice physique et la sensation euphorique après l'effort.
Je jouis presque sans entrave d'un corps qui m'avait lâchement laissé tomber le mois dernier et prends même plaisir à ressentir des courbatures le lendemain. Vivante, enfin...
Je vois Yann et Fabien dimanche pour un brunch dans le marais, je ne sais même pas si je vais être capable de partager avec eux ce qui coince et m'empêche d'être complètement légère...