Bassam

Publié le par Maxine

J'ai d'abord été séduite par la voix de Bassam, je suis très sensible aux voix comme on a déjà pu le noter, je peux tomber amoureuse d'un homme au physique banal s'il a une jolie voix.

Ce n'était pas le propos, mais Bassam avait vraiment une voix très chaleureuse. Il était enthousiaste et bizarrement assez rapidement j'ai commencé à rêver de cet enfant avec lui, avant même de le rencontrer.

Il m'avait envoyé une photo de lui sur une plage, mal rasé et détendu et une autre assez laide qui devait être celle de son badge de société.

Il n'était d'ailleurs pas très beau à première vue, malgré des yeux assez intenses et des traits réguliers, il était un peu grassouillet comme certains orientaux peuvent l'être, avec un air débonnaire qui me l'a rendu sympathique malgré un physique plutôt commun.

Ce qui m'avait plu surtout, c'est un portrait de lui quand il avait cinq ans... C'était vraiment un enfant magnifique, avec de grands yeux éveillés et un air sage et doux.

Je traversais à l'époque un couloir de boulot intense et me remettais difficilement de mes problèmes de santé, anémie et stress ne faisant pas bon ménage.

Nous parlions tous les soirs pendant une heure minimum de nos aspirations, de nos valeurs, de notre enfance compliquée, et la mienne à côté de la sienne ressemblait à un livre de la bibliothèque rose.

Bassam n'avait jamais connu son père jusqu'à l'âge de 20 ans, pire il n'avait jamais osé aborder le sujet avec sa mère qui avait débarqué en France en 1976 quelques temps après le début de la guerre au Liban, profitant de l'ouverture à Paris d'une succursale de la banque où elle travaillait. Elle était divorcée, chrétienne et pour elle et son fils la France, dont elle connaissait parfaitement la langue était l'opportunité inespérée de s'échapper d'une condition difficile dans son pays d'origine. A 20 ans donc, la petite amie de Bassam l'encouragea à questionner sa mère sur ses origines et surtout sur l'identité de son père.

Sa mère lui donna le nom d'un homme, celui avec qui elle avait été mariée et qui vivait au Liban. Quelques temps après lui avoir écrit, Bassam partait à Beyrouth pour rencontrer cet homme, ce père qu'il n'avait jamais vu. Il me dit n'avoir ressenti aucune émotion en le découvrant, juste de la froideur et beaucoup de distance. Il mit cela sur le compte de la séparation trop longue sans doute, mais ne chercha en tout cas jamais à revoir son père.

Quelques temps après, onze ans exactement, sa mère débarqua un jour en larmes chez lui en lui disant:

"Bassam, je vais t'avouer quelque chose. Si après cela tu ne veux plus jamais me revoir, je respecterai ta décision..."

J'aime le côté théâtral que peuvent avoir certaines femmes, je le trouve à la fois pathétique et émouvant.

"L'homme que j'ai prétendu être ton père ne l'a jamais été en fait. Quand j'étais mariée, j'ai eu une relation extra-conjugale avec un autre homme de qui je suis tombée enceinte. Quand mon mari l'a appris, il a décidé que nous le garderions ensemble, cet enfant c'était toi bien sûr. "

Bassam s'insurgea:

"Mais pourquoi me dis tu ça maintenant maman, qu'est-ce que tu veux que j'en fasse ? Pourquoi ne l'as tu pas gardé pour toi puisque tu me l'a caché pendant 31 ans ?"

"Je ne voulais pas te le dire, mais ton véritable père t'a retrouvé et veut te rencontrer. Il n'a pas d'enfant, juste toi et quand il a appris que j'avais eu un garçon en novembre 1969, il a su que tu étais son fils unique."

Je vous imagine déjà en train de sourire, en repensant à ces comédies de Molière où toute une famille se retrouve dans le dernier acte. C'est tellement énorme que ça ressemble à un mauvais roman.Quand c'est réel, ce n'est pas très drôle.

Quand Bassam a vu son vrai père pour la première fois, il l'a tout de suite appelé "papa" tellement leurs traits étaient similaires. Mais quand on découvre ce genre de vérité à 31 ans, on n'en sort pas indemne. Sept ans de thérapie, une incapacité devenue totale à faire confiance à une femme affectivement parlant et un grand besoin de transparence dans les relations avaient fait de lui un homme sur le qui-vive, persuadé qu'il avait totalement renoncé à une vie sentimentale, en tout cas de couple.

 

Si je raconte tout cela, ce n'est pas par indiscrétion, c'est pour esquisser la relation qui s'était tissée entre nous avant même notre première rencontre physique. Nous étions très vite entrés dans l'intimité l'un de l'autre avec une confiance presque immédiate. Mon parcours, lui aussi compliqué faisait resonnance au sien et c'est vrai que cet aspect m'avait invitée à projeter cette parentalité sans l'ombre d'un doute avec lui.

 

Quand je l'ai vu pour la première fois, j'ai ressenti comme un choc :

 

Outre le fait qu'il ressemblait plus à la photo très laide qu'à celle de la plage, il avait une allure de petit vieux, les épaules tombantes, un jean à la coupe improbable qui lui remontait bien au dessus de la taille, une chemise trop serrée qui moulait son ventre rond, un pull bleu marine noué autour ses epaules et une sacoche en cuir vieilli en bandoulière.

Alors je sais... Mes considérations ne sont pas très profondes et j'avoue en éprouver en les écrivant un sentiment quelque peu honteux... Je ne prétends pas non plus avoir un style extrêmement pointu, ou une classe folle mais enfin, pour quelqu'un qui attache un tout petit peu d'interet à l'allure des gens, l'ensemble ne ressemblait à rien.

 

Bien sûr je me suis dit :

"Jeanne tu déconnes... on ne te demande pas de faire ta vie avec lui, s'il est gentil et que vous avez une complicité ensemble, son allure ne compte pas."

Et je le pensais, mais je continue à penser que cette première impression en le voyant a joué défavorablement pour la suite.

 

http://2.bp.blogspot.com/_6DgD66Duw58/SkZ14USMGpI/AAAAAAAAAEU/F3LP2IvahgE/s400/gros-bonhomme.jpg

                                                                  Copyright Eva Chatelain

 

Certes, j'ai continué à le trouver gentil, concerné, et pas que par le projet, mais en apprenant à le connaître j'ai aussi découvert un homme inquiet. Il me posait plein de questions sur mon état de santé, évoquant le pire à ma place ce qui provoquait chez moi de petites crises d'angoisse de plus en plus fréquentes... Son inquiétude se déplaçait d'un endroit à un autre, sans que j'en comprenne la logique:

"Et tu penses qu'avec tes horaires de travail décalés tu vas réussir à être présente pour notre enfant ?"

" Et si tu tombes passionnément amoureuse d'un homme, penses-tu que tu serais capable de me donner la garde exclusive du petit ? "

" Tu penses que tu vas tenir encore longtemps fatiguée comme tu l'es déjà ? "

Je dois préciser que j'ai pâti toute ma vie des angoisses de ma mère, imaginant toujours le pire quand j'avais un quart d'heure de retard ou que je prenais un avion...

Un soir, n'en pouvant plus, j'éclatais :

" Tu es anxiogène Bassam, tu en as conscience ? Je ne suis pas une hypocondriaque mais avec toutes tes questions, je suis en train de flipper des examens qui m'attendent, alors que mon gynéco est très confiant... "

" Si je ne m'inquiétais pas pour toi, cela voudrait dire que tu ne m'intéresses pas..."

" Mais inquiète-toi tant que tu veux pour moi, mais ne m'en parle pas, ça me fout les boules, sérieux! "

Il avait finalement obtempéré...

L'autre gros problème que nous avions, c'est que nous n'avions aucune affinités, je veux dire aucun centre d'intérêt en commun. Il avait trois amis en tout et pour tout, ne sortait quasiment jamais, se couchait à 22h30 en semaine et à minuit les week-ends, détestait la foule et la promiscuité des cinémas et n'écoutait que de la musique classique. Ces centres d'intérêt étaient la politique, très bien, l'histoire, parfait, et les voyages au bout du monde... Tiens, un point commun, sauf que je n'aurais jamais pu partir avec lui, tant sa compagnie m'ennuyait. Il en arrivait même à m'oppresser tellement et je me surprenais à lui répondre de façon agressive de plus en plus souvent.

Dés que nous parlions au téléphone ou devant un déjeuner, il recommençait à me poser mille questions, souvent les mêmes, s'inquiétant par exemple de la richesse de ma vie sociale ne laissant pas de place à une maternité selon lui.

Je me souviens d'un jour, où j'ai éclaté d'un fou rire nerveux irrépressible quand il a commencé, et tandis que je tentais très difficilement de reprendre mon calme je lui mimais le geste "pause" avec mes deux mains.

 

Nous nous sommes vus pendant un mois et j'ai décidé de mettre fin à cette mascarade. C'était un samedi midi, je l'ignorais, mais Bassam venait de faire son spermogramme et il m'attendait en bas de chez moi avec un cadeau : quatre jeux de baguettes laquées magnifiques. J'étais livide à l'idée de devoir lui annoncer la mauvaise nouvelle dans de telles circonstances. En plus quand il m'avait raconté le déroulement de son examen, on aurait dit un film de Blake Edwards:

Avant l'opération il avait lavé ses mains consciencieusement et quand il avait mis ses mains sous le séchoir électrique, ce dernier ne s'était jamais arrêté. C'est donc dans un espace minuscule et surchauffé qu'il avait commencé sa petite affaire, non sans mal car à travers les cloisons fines comme du papier, il entendait une infirmière dire : "10 minutes il a mis celui-là, j'ai jamais vu un truc aussi rapide !"

Finalement il arriva à ses fins mais au moment fatidique, alors qu'il levait la tête vers le moniteur de télévision de sa cabine, il tomba sur un extrait qui abrégea son coït:

"Y avait un type qui enfonçait sa main et son avant-bras dans le vagin d'une femme, ça m'a tout coupé... Je pense qu'il va falloir que je refasse l'examen, du coup y avait pas grand chose dans le pot en plastique, enfin je sais pas..."

C'était hilarant la façon dont il avait raconté la chose avec une candeur quasi enfantine, j'en pleurais de rire.

" Du coup, j'aurai peut-être les resultats la semaine prochaine et dés que tu me donnes le feu vert, on s'y met..."

Là, j'ai changé de couleurs en quelques secondes...

C'est là que je lui ai dit, je n'avais plus le choix. J'ai vu son visage se décomposer, ses yeux s'embuer et ses grosses joues se mettre à trembler, c'était atroce.

Il m'a dit qu'il allait laisser tomber le projet, que c'était avec moi et pas une autre qu'il en avait rêvé. J'essayais de le rassurer, tant bien que mal, lui disant que j'étais la première et que je comprenais qu'il soit déçu, mais que ce chemin était ardu, et qu'il ne fallait pas baisser les bras à la première embuscade. Je lui disais, et je le pensais, qu'il était un être précieux mais que nous étions vraiment trop différents pour un projet de cette envirgure, que peut-être que ce que je cherchais était une uthopie mais que je devais continuer encore, sans lui...

Nous nous sommes quittés maladroitement devant sa voiture, je n'ai pas voulu lui rendre son cadeau, de peur de le vexer en plus de l'avoir blessé.

Quand je suis remontée chez moi, je lui ai envoyé ce message :


Pardon de t'avoir fait du mal.... Ça m'a fendu le cœur de te faire pleurer. Je te souhaite le meilleur.
Je t'embrasse,

 

Jeanne

 

Il n'a plus jamais donné de nouvelles....


Publié dans aventure maternelle

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article