Un homme du passé...
Avant hier soir alors que je m'apprête à partir au boulot, mon téléphone fixe retentit et comme il l'avait fait deux fois pendant ma sieste, je me décide à le décrocher malgré mon retard:
"Allô ? Jeanne, c'est toi...."
" Oui, qui est-ce? "
" C'est Paul... Paul Vigneron."
" C'est pas vrai !!!! " Et si je mets quatre points d'exclamation, c'est vraiment parce que je suis surprise, et plutôt contente d'entendre sa voix.
Paul a été mon amoureux pendant un an, il y a presque six ans. Nous nous sommes quittés assez tristement, disons plutôt que c'était moi la méchante dans l'histoire et il n'a jamais voulu que nous gardions un lien malgré les multiples tentatives de rapprochement que j'ai faites après notre rupture. La dernière, il y a trois ans s'étant soldée par un message assez sec de sa part, j'avais baissé les bras.
Comme je n'ai pas le temps de bavarder avec lui, je prends son numéro et lui promets de le rappeler dans la soirée.
Pendant le trajet de métro, certaines choses me reviennent en mémoire.
Quand j'ai rencontré Paul fin 2004, je sortais de dépression après une histoire de cinq ans suivie d'une passion très destructrice... Je n'avais pas fait l'amour depuis plus de cinq mois, je ne me touchais même plus, j'avais le sentiment d'être un cerveau dans un corps mort. J'étais maigre comme un coucou, le cheveu terne et les joues creuses. Je l'ai rencontré sur Meetic, il écrivait bien, il était drôle, cultivé alors je me suis dit, pourquoi pas.
Je n'aime pas les hommes qui ont une beauté évidente, j'aime qu'ils aient une gueule, du chien, du charisme...
Paul n'était pas vilain, il ne me plaisait pas, c'est tout. Mais il était spirituel et plein d'humour, et ça faisait longtemps que j'avais oublié la douce sensation que peut provoquer un fou rire. Je le voyais souvent, mais ne cherchais absolument pas à le séduire, mais c'était inutile de toute façon, sans rien avoir eu à faire, il était conquis...
Comme je ne faisais aucun geste dans sa direction, il finit par me demander un soir:
" Mais est-ce que je te plais ? "
Devant mon silence, il reprit :
" Tu me trouves si repoussant que ça ? "
Je peux sentir encore la résonance que cette phrase a eu en moi. Le dernier homme des bras duquel je sortais passait son temps à dire que je serais mieux avec 5 kilos en moins (alors que j'en faisais déjà quatre de moins que mon poids de croisière) et je passais ma vie à envier le corps de filles qui rentraient dans du 34 fillette. Je me sentais moi-même "repoussante ". Alors j'ai répondu :
"Laisse-moi un peu de temps..."
Mon histoire avec Paul m'a appris une chose, nous sommes avant tout des animaux et si le désir n'est pas là au départ, il ne viendra pas, même avec toute la complicité du monde !
Ce n'est pas ce que je me suis dit à l'époque, je réalisais juste que je me sentais bien avec lui, que je ne m'ennuyais jamais en sa compagnie et je pensais que par la force des choses, le désir viendrait, avec le temps.
Il n'est jamais venu.
Bien sûr nous avons couché ensemble, mais très vite je n'étais plus avec lui pendant nos ébats, mon corps était là, mais mon cerveau partait loin, très loin.
Je n'ai pas vécu l'enfer, j'aimais sincèrement Paul, j'étais complètement connectée à lui. Nous finissions les phrases l'un de l'autre, nous avions des délires absurdes qui me ravissaient, j'ai même envisagé de faire un enfant avec lui. Non que j'avais une envie maternelle débordante mais je me disais qu'il serait un bon père et que même si nous nous séparions, nous réussirions toujours à communiquer et à être de bons parents. Nous avons même essayé, mais très vite je me suis rétractée.
Et puis je me suis mise à désirer d'autres hommes, et là mes relations sexuelles avec Paul sont devenues schizophréniques.
J'ai même eu une relation épistolaire érotique avec un type que Paul a découverte en piratant le mot de passe de ma boite mail.
Le ver était dans la pomme.
L'idée de le perdre m'était insupportable, c'était mon siamois, mon âme soeur mais je n'étais pas amoureuse... Lui si, et c'était mon drame.
Je l'ai finalement trompé, je ne l'ai pas supporté. J'ai rompu dés que nous nous sommes revus.
Je pense que quand je l'ai quitté, il devait être à peu près dans le même état où il m'avait trouvée douze mois auparavant : en mille morceaux.
Qu'il ait voulu me chasser de sa vie définitivement me fit beaucoup de mal, mais je ne pouvais en aucun cas lui en vouloir.
Quand je l'appelle, nous résumons tant bien que mal notre vie. Je ne lui parle pas de mon projet bien sûr, ni de mes récents déboires avec un homme marié. Je lui dis que je suis dans une période mouvementée et que j'attends que ça se stabilise pour mettre des mots dessus. Il m'annonce qu'il a essayé avec sa dernière compagne de faire un enfant pendant deux ans, en vain, et que cette expérience a mis son couple à rude épreuve.
" Mais tout va bien ! " ajoute-t-il et je n'arrive pas à savoir s'il est sincère.
J'avoue que ses mots me déchirent mais j'essaie de garder le ton léger de la conversation. Je propose un verre la semaine prochaine, il accepte.
"Ça t'a fait plaisir de l'entendre ?" demande ma mère, quand je déjeune avec elle aujourd'hui.
" Sur le coup oui... Et puis là, je ne sais plus si j'ai envie de le voir. Le fait qu'il n'ait pas réussi à avoir d'enfant m'apparaît comme un mauvais signe. "
" Mais ça vient peut-être pas de lui... "
Ma mère a toujours adoré Paul qui en plus d'être féru de musique classique, avait plaisir à partager nos repas et à discuter avec elle. Forcément pour ma mère ça ne peut pas venir du gendre idéal.
" Je ne sais pas... Il me dira mardi. "
" Peut-être que tu pourrais lui demander à lui d'être le père de ton enfant, ce serait peut-être plus simple que..."
Devant le regard explosif que je lui lance, elle s'interrompt.
J'ignore ce que Paul cherche en voulant me revoir mais je sens que l'euphorie de la surprise a laissé place à une forme de circonspection superstitieuse.
Et pourtant j'irai, parce que la curiosité l'emporte sur tout le reste....
