Douche froide
Le week-end touchait à sa fin, morose, gris, froid. Je traînassais insouciante devant quelques séries américaines comme on feuillette un magazine dans une salle d'attente, quand au détour d'une minute dominicale, et comme si le mois de Novembre n'avait pas été assez dur comme ça, je découvrais ceci dans ma boite mail...
François.
Cette sensation de souffle coupé qui s'est emparée de moi ! Ce sentiment d'injustice en lisant les accusations qui m'étaient faites ! Et surtout la froideur des mots sur fond blanc sans même une formule de gentillesse pour clôturer la missive ! Je me suis effondrée, disloquée, effritée, réduite en petits morceaux de rien. Je tremblais de rage et de chagrin, les larmes me brûlaient les yeux et les joues, je me sentais tellement prise au dépourvu que j'en étais pétrifiée. Après que les battements de mon coeur aient repris, j'ai finalement appelé ma soeur à New-York.
Nina a beau avoir dix ans de moins que moi, elle sait les mots qui me calment, qui me font relativiser, elle sait être honnête sans être dure, elle sait me faire prendre conscience de choses qui m'échappent. Ça faisait deux mois que nous ne nous étions pas parlé, en d'autres circonstances je l'aurais certainement massacrée mais là j'étais tellement soulagée qu'elle soit là au bon moment que je n'ai pu m'exclamer qu'un "Dieu soit loué ! " quand j'ai vu sa petite bouille dans mon écran d'ordinateur.
Nous avons parlé longtemps, elle m'a dit qu'il ne fallait pas que je me laisse emporter, et surtout que je prenne les choses trop personnellement. Elle a vu comme moi qu'il y avait probablement de la part de Franck un sentiment de panique et elle a admis que c'était assez lâche de me mettre ça sur le dos et encore plus de m'en informer par mail. J'ai reconnu pour ma part que ce qu'il disait de moi n'était pas foncièrement faux, mais que c'est ce qui était sous-jacent qui me blessait profondément.
Est-ce que le fait de n'être pas parfaitement zen, pas complètement heureuse en ce moment, et d'avoir une relation conflictuelle avec ma mère faisait de moi une mauvaise candidate à la maternité ? Ne sommes-nous pas tous porteurs de bagages plus ou moins lourds ? Pensait-il être lui-même parfait pour s'autoriser à mettre le doigt sur mes faiblesses ?
Jamais je n'avais mis la pression pour que nous lancions les "réjouissances" au mois de Janvier, on en avait parlé ensemble et il m'avait répondu qu'il était "archi-prêt". Ce que François appelait de l'impatience, c'était de la hâte... J'avais hâte de m'y mettre oui, parce que j'avais conscience que ça risquait de ne pas marcher du premier coup, que le procédé demandait également certaines manipulations auxquelles nous n'étions habitués, ni lui ni moi.
Lui qui passait son temps à dire que seuls l'avis de Fred et le sien importaient dans les décisions concernant ce projet, s'appuyait sur l'avis de ses proches, que je ne connaissais même pas, pour justifier de la nécessité d'attendre. Il n'assumait même pas cela.
Écoutant la voix de la raison, celle de Nina donc, j'envoyai un bref mail à François lui signifiant que j'avais pris connaissance de son message, qu'au risque de me répéter je détestais communiquer par le biais de ce média pour les choses importantes et que j'attendrais qu'il trouve un moment pour en discuter avec lui.
Outre le fait d'être sage, ça me laissait un peu de temps pour mettre les choses à plat.
Après j'ai rejoint Sasha qui avait insisté pour que je ne passe pas la soirée seule en dépit de mon état lamentable. Je ne l'ai d'ailleurs pas regretté, il a été d'une prévenance, d'une tendresse et d'une gentillesse dignes du meilleur des amis. Si je ne l'avais pas finalement sollicité, je pense que j'aurais même pu m'endormir contre lui sans même avoir abusé de son grand corps rassurant. Mais ça aussi j'en avais besoin, juste pour me sentir vivante.
Le lendemain, je me suis réveillée nouée et encore plus triste que la veille dans l'appartement vide de Sasha qui était parti travailler à l'aube. J'ai trompé le chagrin en déjeunant avec Mathilde, puis en dinant avec Garance mais dés que je me retrouvais seule avec moi même, mon incontinence lacrymale ne me laissait pas de répit. J'avais beau me raisonner, me convaincre que le contenu de ce mail n'était pas définitif, qu'il invitait simplement à prendre un peu plus de temps, il avait mis le doute dans mon esprit sur la façon de communiquer de François.
Qu'allait-il en être s'il n'était pas d'accord sur ma façon d'éduquer notre enfant, allait-il m'en faire part en m'écrivant un texto le dimanche soir à 17h ?
Finalement en me faisant part de ses inquiétudes, il avait révélé les miennes.
Un autre sentiment me taraudait, la quasi certitude que si je n'allais pas au bout du projet avec François et Fred, je ne repartirais pas à la chasse au père potentiel, en tout cas pas de cette façon. Or à ce moment précis, je me rendais compte que j'allais avoir beaucoup de mal à dépasser l'inconséquence de l'attitude de François...
Il aurait été tellement simple qu'il m'appelle pour me dire qu'il réalisait l'importance de notre projet, qu'il était quelque peu paniqué et qu'il pensait que la seule façon de se rassurer était de passer un peu plus de temps avec moi. Après tout j'en connais des centaines d'histoires de mecs qui, face à l'imminence de la paternité, sont sous l'emprise de petites et de grandes angoisses.
Un homo est un homme comme un autre, j'avais failli l'oublier...
Ce soir et deux jours après ces quelques mots empoisonnés, je suis un peu plus calme, dans l'absolu je suis bien sûr d'accord pour nous donner un peu plus de temps, même si je crois que ce n'est pas deux ou trois mois qui vont changer quelque chose dans la vision que nous avons l'un de l'autre. Reste à savoir si je serai capable de passer au dessus de la douche écossaise qu'on vient de m'administrer....