Gilles et sa moitié (part 2)

Publié le par Maxine

http://07.img.v4.skyrock.net/071/xx-bananou-xx/pics/1852868341_10.jpg" C'est important que tu rencontres Thomas, c'est ma moitié..." avait dit Gilles quelques temps avant son retour de vacances.

" Bien sûr... Mais lors des décisions pour cet enfant, je vais devoir gérer avec vos deux avis qui seront peut-être différents du mien, et même différents l'un de l'autre, j'ai peur que cela soit compliqué."

" Rassure-toi Jeanne, nous en aurons discuté en amont, et tu auras nos avis qui n'en seront déjà plus qu'un, préalablement digéré. "

Idyllique sur le papier mais dans la pratique, je n'imaginais pas à quel point c'était presque impossible.

L'annonce de Gilles était la première sur le site que j'avais retenue, pour sa fraîcheur et sa sincérité. Mais j'ouvre une parenthèse :

Les sites de coparentalité s'adressent à des hommes et des femmes, en couple ou pas, hétéro ou homo et où le seul point commun est ce désir d'enfant, sans s'unir à l'autre partie nécessaire à la conception.  Sont référencés le pseudo, le genre, l'âge, la région, le signe astrologique (oui, pour certains c'est très important) et évidemment une annonce. Pas ou très rarement de photos . Certains proposent juste d'être donneur, un concept qui m'échappait jusqu'à ce que je comprenne, qu'en France, le don de sperme aux mères célibataires est interdit, et que la plupart des couples lesbiens préfèrent avoir un enfant sans l'interaction d'un père potentiel, gay ou non. Ce n'est évidemment pas mon cas.


Bonjour, je suis un homme de 38 ans heureux en couple avec Thomas (33 ans) depuis 10 ans. J'ai une vie riche tant sur le plan amical que professionnel et d'aussi loin que je me souvienne je voulais être père. J'aurais pu tricher pour y parvenir mais même si j'ai quelques défauts(Thomas se fera un plaisir de vous les lister !) le mensonge et la trahison n'en font pas partie... J'ai donc choisi d'être un homme fort, fier et heureux car je pense qu'un enfant a avant tout besoin que ses parents le soient afin de lui permettre de l'être à son tour. Et c'est là que vous intervenez car un enfant sans maman je ne l'envisage pas (Thomas sera un beau père formidable mais pas une maman). Nous devons donc nous rencontrer, faire connaissance et discuter beaucoup ! Mais si vous êtes motivée comme nous le sommes ce ne sera ni fastidieux ni une perte de temps mais l'aventure d'une vie ! alors courage, lancez vous !

 

Je me suis lancée donc... Gilles n'a répondu qu'un mois après, sa maman étant très malade, il s'était consacré à l'entourer et la soutenir dans une intervention médicale plutôt lourde et c'était tout à son honneur.  Je n'étais d'ailleurs pas restée passive dans ma recherche pendant ce laps de temps mais j'y reviendrai plus tard...

Thomas serait donc le beau-père de mon enfant et pas son deuxième papa. C'est  en tant que tel que j'ai appréhendé notre première discussion autour d'un déjeuner, somme toute succulent mais très orchestré.


" Alors dis moi Jeanne, comment vois tu cette collaboration ? Quelles sont les valeurs que tu veux défendre ? Les principes d'éducation sur lesquels tu ne plieras pas ? "

Thomas vient juste de débarrasser les tomates sans que j'ai eu le temps de saucer la vinaigrette dans mon assiette, mais bon, comme ce n'est pas très bien élevé je le regarde sans trop de regrets emporter mon assiette pour la rincer et la remplir d'un morceau de poulet , de pommes de terre grenailles et de pois gourmands.

"Comme tu as pu sûrement le deviner j'ai des valeurs de tolérance, sinon je n'aurais pas spécifiquement cherché un couple de gays... enfin je pense qu'on peut transmettre ce genre de valeurs dans un couple hétéro mais bon... Je ne veux pas assommer mon gosse sous une tonne de principes, le sommeil et le travail à l'école, c'est important mais je ne le forcerai jamais à finir son assiette par exemple... j'ai eu des comportements alimentaires un peu conflictuels et je pense qu'il faut lâcher du lest là dessus."

Je m'écoute et je me trouve d'une vacuité confondante pendant que je parle. Peut-être parce que cette discussion ressemble plus à un entretien d'embauche, peut-être parce que Gilles ne dit pas un mot et que Thomas me semble un peu péremptoire surtout quand il dit:

" Moi je veux que notre enfant ne soit jamais à la traîne "technologiquement" parlant, il aura tout les moyens nouveaux à disposition, je n'ai eu mon premier ordinateur que sur le tard et j'en ai quelque peu souffert..."

Moui d'accord, mais encore ?

" Et l'éducation scolaire tu la vois publique ou privée ? Nous en avons parlé avec Poussin et je pense que le privé est plus raisonnable. Au moins s'il sèche les cours nous serons prévenus..."

Je m'étouffe un peu avec mon poulet mais me reprends :

" Écoute Thomas, je ne sais pas si tu as été scolarisé à Paris, mais sache que les lycées à Paris ont un niveau bien supérieur à la plupart des écoles privées... Alors bien sûr si vous avez les moyens de lui payer l'école alsacienne, je n'y vois pas d'inconvénients, moi personnellement je ne les ai pas..."

Thomas se renfrogne un peu. Je prends la parole cette fois:

"Je voudrais aborder le chapitre de la garde, je sais que l'idéal pour moi comme pour vous ,serait du 50/50, mais soyons cohérents, avant un an, ce ne sera pas possible. N'oubliez pas que j'aurais 9 mois d'avance sur vous, que même si dans l'absolu je ne veux pas allaiter, ou pas longtemps, on ne peut pas décemment se ballotter le bébé une semaine sur deux pendant ses premiers mois... Il va falloir la jouer fine, petit à petit. bien sûr vous passerez quand vous le souhaiterez mais si dans l'absolu je veux me ré-approprier ma vie de femme le plus tôt possible, on doit penser au bébé en premier lieu, non ? "

Là où je m'attendais à une riposte de Thomas, il balbutie:

"Oui oui, bien sûr, les premiers temps on le prendra de temps en temps le soir et on te le ramènera le matin. D'ailleurs il va falloir trouver une nourrice à equi-distance entre chez toi et chez nous, pour l'école aussi d'ailleurs..."

J'hallucine un peu quand on pense qu'ils ont chacun leur propre voiture alors que je n'en ai pas, qu'ils sont deux et que je suis seule. Suis-je trop exigeante ? Je sens le malaise monter en moi, elle est où ma place là dedans ? J'ai le vilain sentiment de n'être à ce moment précis que le moyen par lequel le bébé arrive. Elle est où cette part d'amitié que je veux initier entre le père de mon enfant (mais lequel d'ailleurs?) et moi ? Gilles est concentré sur son assiette et ne moufte toujours rien, ou pas grand chose...

Quand le chapitre des prénoms arrive, l'agacement est à son comble.

Thomas a des idées bien arrêtées sur les prénoms de garçons, ceux des filles ne l'intéressent pas du tout...

Avant son retour de vacances, Gilles m'avait soumis les deux prénoms qui avaient grâce à ses yeux (ceux de Thomas) et j'avais répondu :

"Ça ne va pas être possible..."

Ça peut paraître un peu précipité de parler de prénoms avant même la conception, mais  cela nous tenait fortement à coeur à eux comme à moi, j'imagine pour rendre le projet plus concret. Le fait que Thomas était profondément convaincu qu'il s'agirait d'un garçon me dérangeait plus.

J'avais noté que durant tout le déjeuner il n'avait parlé que d'hommes ,à part sa soeur qu'il avait qualifié de "folle", ses chiens étaient tous les deux des mâles et quand j'avais fait part de cette reflexion, Gilles avait répondu:

"Détrompe-toi Jeanne, Thomas a plein de copines au boulot ! "

Des collègues, oui, vraiment très convaincant !

Les prénoms que propose Thomas ne sont pas vilains en soi, ce sont juste les prénoms les plus donnés aux garçons durant ces trois dernières années... Quant à ceux que je propose, je sais à l'avance que pour un homme qui pense que "Mamma Mia" est le film de la décennie, ils ne seront pas retenus. Gilles, qui lui a fait du théâtre comme moi dans sa jeunesse ,n'est pas insensible à Octave, mais j'ai bien compris maintenant que Thomas n'est pas la moitié de Gilles, c'est le contraire. Adieu donc Darius, Virgile, Aurèle !

"Mais peut-être devrais tu faire ton propre enfant pour lui choisir son prénom... " dis-je à Thomas, sibylline.

Le repas est fini, j'ai envie de partir, quelque chose que je n'avais pas senti depuis le début de mon aventure vient d'empoisonner ma belle humeur : le découragement.

Je fais bonne figure en les quittant, leur proposant de se rappeler à mon retour de la montagne, "histoire qu'on réfléchisse".

Quand je rentre chez moi, mon divan me tend ses bras apaisants je m'étends et m'endors  le ventre contre lui pendant plus de deux heures. De toutes façons, en ce premier dimanche du mois d'Août il n'y a personne pour me consoler à part mon canapé.


Publié dans aventure maternelle

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