De l'alchimie
Il y a un an et demi, lors d'un concert où j'avais été retrouver Carl avant même que nous ne vivions notre idylle adolescente, j'avais été remarquée par l'un de ses amis. Carl me l'avait rapporté à l'époque mais je ne voyais même pas de qui il parlait.
"Mais si ! Un grand blond, beau gosse, les cheveux courts, tu vois pas ? "
A priori je ne suis pas très "grand blond" alors ne pas l'avoir remarqué ne m'avait étonnée qu'à moitié. En plus c'était Carl que j'étais venue voir et pour couronner le tout j'étais avec deux potes gays très dissipés qui avaient retenu une grande part de mon attention ce soir là.
Le temps passa et à chaque fois que Carl voyait cet ami, il me rapportait que ce dernier demandait chaque fois si mon coeur était toujours à prendre. Même quelques semaines après notre rupture, il me l'avait répété et j'avais trouvé ça quelque peu maladroit.
Et puis... et puis un jour d'avril il m'en a reparlé et là j'ai répondu :
"Bon écoute, présente-le moi ce type. Va savoir, je passe peut-être à côté d'un truc joli même si j'aime mieux les bruns et que Ralph, c'est bizarre comme prénom."
Alors on a commencé à comploter : Comment faire pour que ça soit léger ? Un verre à trois était évidemment hors de question au vu de notre passif, un blind date un peu lourdingue si jamais on ne se plaisait pas et soudain, j'ai eu l'illumination. Jeanne, ma collègue et amie fêtait ses quarante ans quinze jours plus tard, c'était l'occasion idéale pour cette rencontre. Il ne me restait plus qu'à demander à mon amie cette petite faveur inhabituelle mais telle que je la connaissais, ce serait assez facile. Je ne me trompais pas.
Ralph accepta de son côté l'invitation et je me surpris à compter les jours qui me séparaient du grand jour. D'ailleurs ce qui me surprit d'avantage c'était d'hésiter entre un jean et une robe un peu sexy alors qu'en temps normal j'aurais choisi la robe sans états d'âme et sans penser qu'il risquait de penser que je m'étais apprêtée pour lui. Des fois, je déteste être une femme futile.
Alors que j'étais en train de confectionner un brownie au chocolat pour la soirée en question, je reçus un sms.
"Bonjour Jeanne, c'est ton rendez-vous de ce soir. C'est un peu long à t'expliquer mais je ne vais pas pouvoir venir. Pour me faire pardonner je te propose un dîner la semaine prochaine, ton jour sera le mien, je m'occupe de tout. Ralph"
Je me sentis déçue mais bon, il faisait beau, la fête risquait d'être vraiment joyeuse. Je consultai rapidement mon agenda et constatai que tout mes soirées étaient prises, soit par le boulot, soit par des invitations, soit par les cours de barre au sol. De plus je n'avais pas vraiment envie de bouger tout ça pour quelqu'un qui me plantait à la dernière minute. Mon côté fifille sans doute. Je répondis :
"Semaine prochaine très chargée et week-end à Londres mais que penserais tu de Lundi dans 10 jours. J'espère que tu réalises que je me suis manucurée pour rien ;-)"
Il répondit :
" Ne m'en parle pas, j'ai du annuler la location de la limousine... Lundi, c'est parfait. Je suis navré pour ta manucure ;-)"
Moi : "J'imagine que tu as de bonnes raisons de me faire un tel affront... A lundi donc, fais moi signe dans la journée puisque tu t'occupes de tout. Et rose, la limousine ;-)"
J'ai appris à mettre plein de smileys aux gens qui ne me connaissent pas, sinon on me prend pour une pisse froid, et encore je suis polie.
L'avantage ce jour là c'est que je ne me suis plus posé la question de ce que j'allais mettre... Une robe, point barre. La soirée fut magnifique d'ailleurs.
Dix jours plus tard, à 16h je n'avais toujours pas de nouvelles et déjà ça, ça a eu tendance à m'énerver un peu. Mes amis de Londres m'avaient interdit de me mettre en jean, "sexy dress and heels, it's an order !", mais pour l'instant ça sentait plutôt le lapin sauce chasseur et la soirée en pyjama devant Nurse Jackie.
Je me suis donc fendue d'un sms pour avoir confirmation, je n'ai eu de réponse qu'à 18h. Le dîner était bel et bien confirmé mais devant les atermoiements du monsieur quant au lieu, j'ai fini par prendre les rênes et lui donner rendez-vous à 20h30 au café charbon rue Oberkampf, "classique mais efficace".
Carl n'avait pas menti, Ralph était assez beau dans son genre. Blond mais les yeux bruns, un joli sourire et surtout une belle voix. Pendant la première demie heure, j'étais assez contente du cadeau.
Et puis nous sommes passés à table et là, comment dire ?
Tout était réuni pour que quelque chose se passe sauf qu'au bout de très peu de temps, j'ai su que si sa compagnie m'était agréable, s'il était loin d'être bête, loin d'être intéressant et que même si nous avions pas mal de goût en commun en matière de musique, il manquait une étincelle, un truc, ce petit grain de folie qui me fait rêver ou vaciller.
Déjà sa vision du couple me paraissait à la fois ennuyeuse et complètement adolescente. Et puis ce qui émanait de lui d'un point de vue sensuel me laissait complètement de marbre, sans doute aussi parce que mon désir naît d'abord celui de l'autre et qu'il n'y avait rien d'autre dans ses yeux que du calme, du très calme, du trop calme. La seule fois où je l'ai vu s'éclairer c'est quand il a parlé de son premier amour avec qui tout avait été évident dés le premier regard, jusqu'à leur séparation dont il était responsable et dont il ne s'était sans doute jamais remis. C'était il y a dix ans.
J'écoutais et plus il parlait plus je sentais qu'il avait le pan féminin de mon pan masculin. Son côté idéaliste avec un besoin de sécurité presque oppressant alors que je n'aspirais qu'à une chose, être charmée sans miser sur un investissement affectif avec envie de me "caser, avec enfants et labrador".
En arrivant en bas de chez moi où il m'avait raccompagnée en voiture, je lui proposai poliment de boire un thé en l'avertissant quand même des sept étages à monter en raison de la panne de mon ascenseur. Il déclina ce qui me mit dans une position assez désagréable, alors que j'aurais du m'en sentir soulagée. En arrivant chez moi, je lui envoyai un texto pour le remercier, la moindre des choses en somme, ce à quoi je ne reçus aucune réponse.
Le lendemain non plus d'ailleurs, à 10h, toujours rien...
Je ne me referai pas, c'est trop tard, l'impulsivité et l'impatience font partie de mon caractère. Je tapai :
"Juste un truc... je déteste me prendre un vent quand j'envoie des sms. Même si tu n'es pas "intéressé", ce que j'avais eu la finesse de noter en amont, c'est pas mal de rester cordial en toute situation. Voilà, c'est dit ;-) Bonne journée"
Du Jeanne tout craché. Du Jeanne qui ne se pose même pas la question de savoir si le téléphone est déchargé, si le mec fait autre chose, du Jeanne qui fait une crise d'ego alors qu'elle n'en a strictement rien à foutre au fond , mais du Jeanne qui a des principes.
Évidemment vers 11h30 je reçus un sms :
"Je suis tombé comme une masse en arrivant chez moi, j'avais mis mon tel en silencieux pour qu'on ne soit pas dérangés au resto, je découvre donc tes messages après une super grassmat. J'ai passé une excellente soirée et je t'en remercie. j'avais vraiment besoin de m'évader..."
On se sent conne dans ces moments là, d'une force ! Je répondis :
"Ça c'est tout moi et ma foutue impulsivité... Contente que tu te sois évadé."
Lui: "J'aurais réagis comme toi, c'est pour ça que je me suis empressé de te répondre avant mon sacro-saint café"
Moi: " On a au moins ça en commun (pas le café)"
End of story.
C'est étrange l'alchimie entre les gens, ça relève d'un truc tellement inexplicable. Et pendant que le souvenir de Ralph s'en allait sans faire de bruit, mon coeur a commencé à sentir les prémices d'un sentiment amoureux pour quelqu'un d'improbable.
Mais c'est une autre histoire.